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Le renforcement du sens du lieu


L’avenir du transport dans un monde post-pandémique

Qu’apprenons-nous du transport, c’est-à-dire de la circulation des biens et des personnes, quand nos sociétés sont à l’arrêt ?

Les mesures de confinement mondiales destinées à réduire la propagation du coronavirus ont entraîné un arrêt brutal de l’activité économique et de la vie sociale. Le transport aérien, ferroviaire ou par voiture a été fortement diminué. Des pans entiers de l’économie sont menacés. Le commerce mondial est soumis à d’intenses pressions. Les pertes attendues pour le seul secteur du tourisme seraient de l’ordre de 1,2 milliard de dollars. En bref, le monde est à l’arrêt. Le choc économique et psychologique est d’autant plus violent pour des êtres comme nous habitués au mouvement. 

 

Jeune femme attendant sur le quai d’une gare avec un sac à dos

 

Peut-on tirer quelque chose de bénéfique d’une telle situation ? Nous étions déjà sensibilisés aux questions géospatiales bien avant l’apparition du virus. Cet état d’esprit, mû par le besoin de protéger notre environnement et l’apport des nouvelles technologies (veille géographique), nous a permis de voir et de mesurer le monde qui nous entoure sous un nouveau jour. Cela nous permet de développer un nouveau sens du lieu et transforme complètement notre appréhension et expérience de la mobilité et notre façon de gérer le transport, que ce soit des biens ou des personnes. 

En d’autres termes, cela nous donne une nouvelle vision des déplacements et des destinations. Comment considérer le transport à travers ce nouveau prisme ?

 

Carte représentant l’interconnexion entre les systèmes de transport d’une région
 
  • Nous vivons dans un monde en perpétuel mouvement. En combinant la veille géographique et la technologie de réalité virtuelle (grâce à l’installation, sur leur smartphone, d’une application de réalité augmentée intégrant l’intelligence artificielle et les données GPS), il suffit aux passagers de la compagnie ferroviaire suisse de pointer leur smartphone en direction d’une statue pour obtenir un cours d’histoire sur la ville et savoir dans quelles circonstances et pour quelles raisons ce monument a été édifié. Voyager ne consiste plus simplement à combler la distance qui vous sépare de votre point de destination. C’est découvrir un flot ininterrompu de lieux intéressants tout au long du parcours. 
  • Les véhicules autonomes ouvrent de nouveaux horizons. Dans un véhicule autonome, nous n’avons plus besoin, en effet, d’avoir les yeux rivés sur la route. Nous cessons d’être des acteurs du déplacement et devenons à la fois des passagers et des observateurs. Outre le fait de faire gagner du temps et de l’argent, les véhicules autonomes permettront d’économiser des vies. Grâce au partage de véhicule, on pourra également réduire le nombre de voitures sur la route et donc abaisser notre empreinte carbone. Les véhicules autonomes auront certainement de nombreux autres impacts sur l’attention humaine.
  • Nous assistons au développement de technologies intelligentes intégrées de sécurité routière. Pour identifier les routes à haut risque et définir les priorités en matière de sécurité routière, l’agence de transport néo-zélandaise (New-Zeland Transport Agency) s’est appuyée sur une analyse géospatiale fondée sur un processus d’ingénierie prédictif. Celui-ci tenait notamment compte des différents modèles de comportement des conducteurs lors des phases d’accélération en ligne droite et de décélération dans les virages. 
  • Les services de transit adoptent une approche holistique. La startup ioki, qui appartient à Deutsche Bahn, l’entreprise ferroviaire publique allemande, utilise la veille géographique pour visualiser l’ensemble des services proposés aux passagers. Dès leur arrivée en gare, ces derniers peuvent ainsi décider rapidement s’il est préférable de prendre un taxi, de louer un vélo ou un scooter, de partager un véhicule ou de se rendre à leur destination à pied. 
  • Les ports deviendront des hubs technologiques intelligents. Erwin Rademaker, gestionnaire du programme du Port de Rotterdam, le plus important des hubs maritimes en Europe en termes de trafic, mais aussi d’intelligence, l’avoue : « Notre infrastructure devra évoluer pour favoriser les communications avec les navires autonomes et les camions autonomes. Même la fonction de l’inspecteur du port du futur sera remplie par un capteur. Grâce au digital twin, nous transformerons littéralement le port physique en port numérique. » 
  • Le réaménagement des infrastructures existantes prend une nouvelle dimension. La géo-conception (ou geodesign), mariage entre veille géographique, architecture du paysage, ingénierie et construction, est une discipline en pleine évolution. La conception assistée par ordinateur (CAO), la modélisation des données du bâtiment (BIM) et la visualisation 3D permettent aujourd’hui d’intégrer les systèmes géospatiaux dans des digital twins (ou jumeaux numériques) dans le but de concevoir des structures intelligentes tenant compte du contexte et de l’environnement géographique. Canal & River Trust applique des principes de géo-conception pour transformer les voies navigables désaffectées au Royaume-Uni en installations récréatives.
  • Les villes ne cessent de se réinventer. La modernisation urbaine au cours des cent dernières années a consisté essentiellement à laisser de plus en plus de place à la voiture. Aujourd’hui, le vélo fait un retour en force dans les villes de certains pays comme le Danemark et les Pays-Bas. On assiste également à la revitalisation des centre-ville et à la reconquête des quartiers par les entreprises et les habitants. Le retour aux villes à dimension humaine est dans l’air du temps.

 

Autoroute à fort trafic où certains véhicules sont mis en évidence pour montrer la distance entre-eux

 

Dans le monde tel qu’il est vu par Yi-Fu Tuan, le père de la géographie humaniste, le lieu s’oppose à l’espace—l’intime au distant, l’ancrage à l’expansion. L’espace désigne un univers vide, non balisé, inconnu. À l’inverse, le lieu est le fruit de l’esprit humain, des processus sociaux d’imagination, de compréhension, de planification et de conception. Au final, la question n’est pas tant de savoir ce que nous apprenons du mouvement quand nos sociétés sont à l’arrêt, mais plutôt des enseignements que nous tirons d’un lieu quand tous les lieux, y compris ceux dans lesquels nous passons, sont imprégnés d’une signification et d’une valeur. 

Par Ian Koeppel, géographe s’intéressant aux questions culturelles et expert international (basé en France) du secteur du transport pour Esri.

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